Du 27 novembre 2014 au 23 février 2015, une plongée dans les désirs de voyages, récits et fantasmes dans les arts de tous les âges. Une exposition concentrée et cristalline.
Si le goût pour l’Ailleurs, le désir de passer au-delà des frontières a pris une grande place dans la civilisation occidentale, ce ne fut pas la seule à s’y adonner dans l’ivresse. Combien d’autres virent partir des foules dans d’aventureuses conquêtes qui ne se concluaient qu’une fois seulement atteint le clapotis des océans, groupes tôt ou tard décimés par les épidémies, ou la démultiplication des ambitions.
L’un de nos premiers grands textes littéraires, et des plus anciens, L’Odyssée, a vu ses épisodes illustrés de mille manières, depuis les artistes et artisans de la Grèce antique... jusqu’à nos plus fameuses célébrités contemporaines campées au panthéon de nos arts plastiques.
"Je suis sorti de ma maison ; mon bac me fait traverser, Thot me fait aborder comme il fait aborder l’œil d’Horus qui était sans bac ; il n’existe pas d’œil d’Horus sans bac, aussi n’existe-t-il pas non plus que je sois sans bac.
Ô celui qui descend et remonte le Nil tandis que je suis sans bac, amène-le moi, afin que je puisse aborder ! Je viens avec cette châsse des dieux : ce coffret des dieux fut ouvert quand je descendis à Dep ; alors mon bac fut préparé à Héliopolis, mes cordages furent noués à Busiris. Amène-le-moi, car je suis sans rien (...)
Je suis celui à qui a été amenée cette barque, pour qui a été enfoncé le piquet d’amarrage, pour qui a été mise en place la passerelle. Car je suis vraiment l’héritier de son père, qui m’a amené à cet abri, absolument seul. Ô ce dieu, amène-le moi."
Textes des sarcophages égyptiens du Moyen Empire, formule (spell)182. Traduction de Paul Barguet, les éditions du Cerf, 1986.
Quelques exemples jalonnent le parcours de l’exposition, parmi les carnets de voyages, les notes et annotations dessinées ou écrites, les peintures, ou les sculptures, dont les datations déchirent les voiles du temps, comme s’ils fouissaient à la recherche de cette nécessité absolue qui nous fait bouger et découvrir, adopter ou rejeter, notre curiosité vitale, la dynamique qui nous meut. ("Ce qui me meut !")
Cette invite à traverser et contempler ces repères, cette confrontation à des œuvres parfois même issues de l’art sacré, qu’il soit égyptien ou autre, propose ni plus ni moins de libres synapses à chacun selon son degré de religiosité entre la notion de départ de voyage physico-géographique jusqu’à l’envolée mystique de la transhumance des âmes.
Élément de sarcophage au nom du chef du sceau et juge Imenemipet dit Nakht-Khonsou-irou. Bois peint. Basse époque ; 25-26e dynastie vers le 7e s. av. J.-C.
Le taureau porte sur son dos une effigie momiforme recouverte d’un tissu.
Il s’agit de la représentation d’un taureau divin, le taureau Apis réplique terrestre du dieu Ptah de Memphis dont il est l’animal sacré (marques distinctives de son pelage, et cobra entre les cornes). Paris, musée du Louvre, dépt des Antiquités égyptiennes. E 5534 Bis.
Car pour le littérateur invité du musée du Louvre notre curiosité pour l’au-delà des frontières du monde connu, qu’elle nous chatouille ou qu’elle nous grattouille, trahit souvent de façon symptomatique l’universelle interrogation humaine sur l’avenir de l’individu, celui de sa civilisation, ou même quelques fois celui de l’espèce de son entièreté.
Paul Gauguin (1848-1903). Folio 98 : Plusieurs personnes dans une barque. Noa Noa, voyage de Tahiti. Aquarelle sur papier. Noa Noa, "odorant" ou "embaumé" en langue maorie, relate le séjour de Paul Gauguin en Polynésie. Le manuscrit (enrichi de dessins, d’aquarelles, de bois imprimés en noir ou colorés, de photographies et d’estampes en taille-douce) accompagna l’artiste jusqu’à sa mort. De retour à Paris en 1893, Paul Gauguin inséra dessins, estampes et photographies dans l’album Noa Noa sans ordre apparent. Le fil conducteur qui relie ses inserts semble être toutefois la volonté de Gauguin de diffuser les traditions et le mode de vie du peuple polynésien auprès du public français. Les textes relatant le séjour de l’artiste, dont certains passages furent remaniés en collaboration avec le poète Charles Morice et publiés dans "La Revue blanche" (1897) puis dans "La Plume" (1901). Paris, musée d’Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre. RF 7259.56, folio 98.
Et peut-être même, laisse-t-il entendre dans le document de présentation de cet événement, que la littérature, conçue comme le laboratoire d’un voyage intérieur, perpétuerait ainsi l’une des plus profondes pulsions de l’humanité qui est d’interroger son destin.
Peut-être aussi faut-il imaginer qu’une part de Philippe Djian faisait qu’il remontait dans son chalut des morceaux d’art et de culture qui n’apportaient justement pas de réponses toutes faites, et que ce serait cette perplexité dans laquelle il se trouvait à les comprendre, qui lui fit les mettre ainsi sur le côté pour qu’on ait tout loisir d’y méditer en sa compagnie.
Eugène Delacroix (1798-1863) Études d’après des figures orientales et des motifs décoratifs. Crayon de graphite et rehauts d’aquarelle. Cette aquarelle fait partie d’une série de figures copiées par Delacroix d’après des miniatures perses. Elle s’inscrit dans la période où l’artiste travailla aux Massacres de Scio, puis à La Mort de Sardanapale. Ce carnet préfigure les célèbres carnets de voyage de l’artiste et trahit son goût pour l’orientalisme que les voyages du Maroc et de l’Algérie allaient illustrer de façon spectaculaire. Paris, musée du Louvre, dépt des Arts graphiques, cabinet des dessis. Réf 23355, 34, folio 28.
Salle 20 : le goût pour l’ailleurs. De l’Odyssée aux relations de voyages qui lui succèderont. Salle 21 : le voyage comme transhumance des âmes. Carnets de voyages d’artistes occidentaux (du XVIIIe au XIXe siècle). Salle 22 Le voyage intérieur. Le voyage forcé. La création ou le voyage dans une chambre... ou dans une œuvre.
Philippe Djian, lors du vernissage de l’exposition
Une installation vidéo de Bill Viola conclut l’exposition dans l’hypnose optique des mirages de chaleur Salle 23.
Le commissaire de l’exposition est Pascal Torres, conservateur en chef, directeur scientifique de Louvre Conseil.
Philippe Djian. Voyages, du 27 novembre 2014 au 23 février 2015, au musée du Louvre, Aile Sully, 2e étage, salles 20-23, 75001 Paris 01 40 20 53 17. www.louvre.fr. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 à 17h30. Nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h30. Accès avec le billet d’entrée au musée 12€. Billet jumelé (collections permanentes et exposition) 16€. Gratuit pour les moins de 18 ans, les moins de 26 ans résidents de l’UE, les enseignants titulaires du pass éducation, les demandeurs d’emploi, les adhérents des cartes Louvre familles, jeunes, professionnels et Amis du Louvre, ainsi que le premier dimanche du mois pour tous.
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Enfin, contre l’actualité artistique qui chasse ce que l’on se croyait capable de retenir, les catalogues d’expositions peuvent avoir, quand ils sont faits avec exigence, un rôle certain à jouer.