Exposition gratuite du 4 mars au 1er juin au Centre Pompidou : une cinquantaine de photographies d’une trentaine d’artistes posent des jalons sur le territoire insaisissable qu’est la photographie.
Comme le Centre rassemble une collection réputée de quelque 40 000 photographies et plus de 60 000 négatifs de haute qualité et à la réputation européenne. Bien que de façon constante, le musée présentait de 300 à 400 clichés dans ses différents parcours modernes et contemporains, une galerie autonome a été spécialement dédiée à cet art au Forum, Niveau -1, et est appelé à présenter des expositions temporaires.
Celles-ci pourront être historiques, contemporaines ou thématiques. La deuxième exposition dans cette galerie, "Qu’est-ce que la photographie ?", est non seulement thématique, mais presque existentielle. Et quelles que soient les réponses, en qualité ou même en nombre qui sont avancées, il est fort heureux qu’elles ne se suffisent pas, même ensemble, à y répondre, et que la photographie demeure cet art indomptable et multiple qui s’adapte à chacun de ceux qui s’y essaient.
Noctambule et nyctalope, Brassaï, originaire de Transylvanie... déambulait la nuit dans les rues de Paris en recherche de sources lumineuses, tel un papillon de nuit. Son cliché est-il une métaphore ?
Ici, l’hypothèse particulière, que soulève ou défend chacun des protagonistes (tous des XXe et XXIe siècles, le XIXe est absent), est aimablement relayée par le cartel qui accompagne sans insistance excessive le visiteur curieux du chemin choisi.
Aucune proposition ou inclination n’est privilégiée. L’unité se fait dans la mesure où chacun de ces artistes s’est bien posé cette même question : "Qu’est-ce que la photographie ?".
Pour certains, il s’agissait de voir, de regarder, de retenir l’image. D’autres se sont fixés sur une pratique, un principe, ou un élément physique, parfois même chimique.
La photographie de Jeff Wall "Picture for Women" (1979), qui fait référence au "Bar aux Folies Bergère" de Manet amène de nombreuses questions. S’agit-il d’une prise de vue dans un miroir ? L’artiste regarde-t-il son modèle ou le reflet de son modèle ? Sont-ils du même côté de la surface réfléchissante ? Deux épreuves Cibachromes transparentes et caisson lumineux. Centre Pompidou.
D’autres encore se sont approchés d’une manière de faire, d’une façon de cadrer, d’une époque, voire d’éléments révolus. Car enfin, les techniques ont bigrement évolué en quelques décennies. Adieu, pour le plus grand nombre, chambre noire, optiques complexes, et bains aux sels d’argent ! Sans même aller jusqu’à évoquer la pectine de pomme de terre... Un artiste québécois est sur la piste mondiale des antiquités de cette nature : Michel Campeau.
Parmi les photographes dont des œuvres (une et plus exceptionnellement plusieurs) sont exposées figurent de très grands noms : Brassaï, Joseph Beuys, Paul Citroën, André Kertész, Man Ray,Robert Morris, Ugo Mulas, Mishka Henner, Patrick Tosani, Jeff Wall, James Welling et quelques autres.
Les réponses divergeant forcément, il est plus que probable que chacun se soit posé en fait une interrogation personnalisée. Au point que c’est un peu au forceps que les œuvres de ces praticiens ont été rassemblées. Mais c’est apparemment pour la bonne cause. Pour que le visiteur puisse imaginer une synthèse personnelle, voire avancer ses propres ébauches d’hypothèses...
Ugo Mulas (1928-1973) Verifica 7. Il laboratorio. Una mano sviluppa, l’altra fissa. A Sir John Frederick William Herschel, 1972. Épreuve gélatino-argentique contrecollée sur aluminium. Centre Pompidou.
Ainsi se classent par exemples au rayon des envies celles d’aiguiser le regard (Nathan Lerner), de désirer voir (Paul Citroen), d’approcher toute lumière (Brassaï), de hanter l’image de son ombre et de celle de son appareil complice (André Kertész).
Dans les réponses qui s’abritent dans les matériaux, la gélatine est en majesté chez James Welling, les grains d’Ag chez Giulio Paolini, les promesses de Man Ray, et la surface sensible pour Joseph Beuys.
Suivent les principes, les pratiques, l’alchimie, l’écart poétique, souvent indispensable, avec l’apport théorique de Walter Benjamin sur l’aura de l’œuvre à l’âge de la reproductibilité de l’œuvre.
Datée de 1983, la série des Glaçons de Patrick Tosani est constituée de petites figurines de personnages en action bloquées, et donc fixées, dans des glaçons. La photographie fige le temps et gèle le mouvement. Le Marcheur (1982-1983)
Quelques approches plus distancées, davantage ludiques, et parfois troublantes ont été adjointes, dont une boite de clés (Man Ray, qui aurait pu être Duchamp), quelques personnages figés dans des glaçons (Patrick Tosani), et une généreuse série de photographies d’Ugo Mulas sur l’élaboration de la vérité.
La vidéo de Jochen Gerz (Exposition de Jochen Gerz à côté de sa reproduction photographique à Paris 1973. Performance) mérite un peu d’attention. La caméra cachée sur le trottoir d’en face enregistre l’intérêt des passants, qui s’oriente davantage vers le cliché de l’artiste que vers sa personne en chair et en os. La photographie aurait-elle un surcroît d’aura ?
"Le médium photographique est aujourd’hui surtout considéré dans son statut relationnel : les artistes soulignent l’impact du regardeur dans la construction de l’image et de ses significations, ainsi que ses composantes sociales et politiques."
Florence Paradeis (Les Images) met en scène et photographie de faux instantanés du quotidien. Si l’image est un monde, le monde est-il pour autant une image ? Ou l’image aide à appréhender le monde, pour morceau de ce qu’il est.
Médium de masse, il n’est pas systématiquement maîtrisé par son usager. Plus que l’œuvre, le geste lui-même a bien perdu de son aura, et l’explosion des selfies renvoie aujourd’hui assez brutalement une triple question : La photographie a-t-elle jamais été un art ? Si ce fut le cas le demeure-t-elle ? Qu’est-ce que la photographie ?
Les commissaires de cette exposition sont Clément Chéroux, conservateur, chef du cabinet de la photographie au Mnam, et Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice, cabinet de la photographie au Mnam.
Qu’est-ce que la photographie ?, du 4 mars au 1er juin 2015 au Centre Pompidou, 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, métro Hôtel de Ville ou Rambuteau. Entré libre. Exposition ouverte de 11 à 21h tlj sauf le mardi. Fermée le 1er mai.
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Enfin, contre l’actualité artistique qui chasse ce que l’on se croyait capable de retenir, les catalogues d’expositions peuvent avoir, quand ils sont faits avec exigence, un rôle certain à jouer.