La Pinacothèque 1 organise, jusqu’au 16 mars 2014, l’exposition Goya et la modernité, dans un ensemble d’événements plaçant les artistes dans le rôle de témoins privilégiés de leur temps.
En quoi ces témoins-là peuvent-ils être privilégiés ? Supposons que cela soit par l’acuité et par la profondeur de leur regard. Par la richesse de ce qu’ils nous en transmettent. Par la puissance de leurs traductions et la réflexion sensible dans laquelle ils parviennent à nous plonger.
Désastre n°5. Et elles sont féroces. Les Désastres de la guerre, 1810-1820 / 2e édition publiée en 1892, Eau-forte, aquatinte et pointe sèche, collection privée, Madrid.
Avec quelque 180 œuvres, des gravures pour l’immense majorité, l’exposition donne la parole à Francisco José de Goya y Lucientes (1746-1828), graveur et peintre ambitieux, bien que sensible aussi aux idéaux des Lumières, à ces nouvelles idées venues d’une France en éruption continue. Personnage un temps blessé dans sa soif insuffisamment assouvie de reconnaissance, meurtri aussi dans son sentiment patriotique et humaniste par les horreurs d’une trop longue guerre qui passe...
On a dit de lui qu’il avait été fortement marqué artistiquement lors de ses séjours à Madrid, par les chefs-d’œuvre des collections royales, dont les fresques de Tiepolo principalement.
"De que sirve una taza ?" (AA01) Francisco GOYA Gravure 17 x 12 cm Collection privée Reproduction Marius Durand
Le jeune Goya effectue un séjour à Rome et à Parme, où il obtient une mention spéciale du jury, pour son tableau Hannibal vainqueur contemplant pour la première fois l’Italie. Cela lui octroie un certain prestige et lui apporte même, dès son retour en Espagne, ses premières commandes conséquentes, au service des chanoines du Pilar.
Après avoir réalisé, grâce à l’introduction de son beau-frère, le puissant peintre Francisco Bayeu, des cartons pour tapisseries au service de la famille d’Espagne, il gravera des œuvres de Vélasquez et sera remarqué par le roi Charles III.
Devenu par la suite portraitiste officiel à la Cour d’Espagne, ses tableaux, toutes contraintes bues, allaient être, dirons-nous, d’un réalisme amplifié, et non dépourvus d’une critique sociale sous-jacente et implicite.
Intellectuel progressiste, sa sensibilité lui valut quelques ennuis avec l’Inquisition. Témoin tout autant cruel et caustique des débuts que fit ce pays dans l’époque moderne, Goya nous en a laissé des satires déchirantes, pleines de fureur, de sang, de souffrances, d’injustices et d’héroïsmes grandioses. Ces cibles, choisies avec discernement, prêtaient généreusement le flanc à ses critiques : les moines et leurs nombreux vices, l’aveuglement inhumain des soldats en campagne, la vénalité et la prostitution si répandues dans la société espagnole...
Francisco de Goya Portrait de Pantaleón Pérez de Nenín 1808 Huile sur toile 206x125cm Signée et datée dans le coin inférieur droit sur le sabre Collection B.B.V.A.
Que pensait-il des limites de l’humanité des hommes, si fréquemment dépassées sur ces gravures ? Sa vision de ce monde sans pitié et cruel est terriblement désabusée.
Les métaphores qu’il en transcrit sont proprement cauchemardesques. On a aussi dit que les effets d’une maladie avaient participé à rendre ses peintures et ses gravures encore plus sombres, encore plus pessimistes... Angoisses, désillusions...
Goya, témoin de son temps, ne souffrit toutefois jamais d’indifférence, conservant au contraire intacte sa haute capacité à s’indigner.
Il rendait compte avec passion des bouleversements politiques et économiques que connaissaient la France et l’Espagne, de ces soubresauts de la Révolution, dont il avait initialement embrassé les idéaux, et de ces tentatives napoléoniennes menées à l’encontre de la Péninsule ibérique, qui heurtaient fatalement son nationalisme.
Il se donnera par la suite pour but de « perpétuer par le moyen du pinceau les plus notables et héroïques actions de notre glorieuse insurrection contre le tyran de l’Europe », peignant par exemples les célèbres Dos et Tres de Mayo (1814).
La Prière au jardin des oliviers, 1819, huile sur bois, Museo Calasancio, Madrid
Goya, dont la charge harassante de premier peintre du roi commandait qu’il fasse des copies de ses portraits de la famille royale, parvint à s’en faire libérer. Retiré avec une pension généreuse, il finit ses jours à Bordeaux.
Cette exposition rassemble essentiellement des gravures de Goya (eau-forte, aquatinte et pointe sèche), quelques portraits en tableaux, dont celui de son frère et de Pantaleón Pérez de Nenín, et, de-ci de-là, quelques rares pépites, dont la belle lumière de son Intérieur de prison (1793-1794), une huile sur étain du musée Bowes, Barnard Castle (Royaume-Uni), et La Prière au jardin des oliviers.
Goya et la modernité, du 11 octobre 2013 au 16 mars 2014, à la Pinacothèque de Paris, 28, place de la Madeleine 75008 Paris, 01 42 68 02 01. Métro Madeleine (8, 12 et 14), bus 42, 52, 24, 84 et 94. Tlj de 10h30 à 18h30. Nocturnes mercredi et vendredi jusqu’à 21h. Entrée à partir de 10h15 pour les billets Internet. Billet « 3 expos quand je veux », pour la découverte des 3 expositions du 11 octobre 2013 au 16 mars 2014. 23 ou 18€ ; billet découverte 3 expos en 1 journée (vendu jusqu’à 14h30, les mercredi et vendredi jusqu’à 16h30) 18 ou 15€.
Dans ce même ensemble des peintres témoins de leur temps, la Pinacothèque propose simultanément à l’exposition "Goya et la modernité", "la dynastie Brueghel", ou 4 générations de peintres...
Nous nous efforçons de tenir ces articles à jour, et nous vous remercions des suggestions, précisions, ajouts et corrections que vous pourriez apporter à ces programmes.
Enfin, contre l’actualité artistique qui chasse ce que l’on se croyait capable de retenir, les catalogues d’expositions peuvent avoir, quand ils sont faits avec exigence, un rôle certain à jouer.