Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768) est de loin le plus célèbre des vedutisti vénitiens du XVIIIe siècle. Il commença sa carrière dans l’atelier de son père, - un peintre de bonne renommée de théâtre et de décors -, et cela devrait d’entrée nous faire regarder son œuvre d’une manière particulière. Dès 1716, le petit Antonio, avec d’ailleurs son frère Cristoforo, travaillait sous l’autorité paternelle dans le domaine de la scénographie.
Voir par exemple son tableau La Commedia dell’arte sur la Piazza San Marco (1720-1723), qui poursuit dans le même domaine.
Plus tard, peintre installé, la réputation de Canaletto fut considérable, et elle fut certainement amplifiée encore par le séjour qu’il effectua en Angleterre de 1746 à 1751, d’une part, et par les relations si particulières qu’il entretenait avec son client principal, le marchand collectionneur Joseph Smith.
En effet, celui-ci en venait à être véritablement son agent, négociant le prix des œuvres avec les clients... et les délais de remise. Et c’était mieux ainsi, car Canaletto était un négociateur impossible, trop sûr de son talent, trop âpre au gain, trop variable sur ses demandes, et d’un caractère exécrable.
Vue de Venise, le jour de l’Ascension, par Canaletto, 1732.
Pour comprendre le commerce important des vues de Venise à cette époque, il est bon de se remémorer que les Anglais parachevaient leur éducation par ce qu’ils appelaient "le grand tour", un voyage en Italie, et plus fréquemment à Venise, afin d’y trouver ce "je-ne-sais-quoi" de culture qui, selon eux, manquait à leur île.
Mais l’Anglais qui voyage est souvent dissipé et peu attentif ! Un tableau de Venise pouvait alors, judicieusement accroché dans un intérieur britannique, passer presque pour... un diplôme.
L’exposition du musée Maillol est très intéressante car, pour une fois, on passe un peu derrière le miroir des représentations que l’on a de Canaletto, et de ce monde, disons-le, un peu de cartes postales.
Celui-ci parcourait inlassablement Venise avec en poche 1 ou 2 fascicules sur lesquels il portait ses croquis, toujours à la recherche des meilleures vues de la Sérénissime pour ses clients. Ces fascicules, 7 en tout, chacun de 8 pages, ont été rassemblés en un carnet, d’une importance en histoire de l’art considérable, qui ne fut exposé qu’une fois hors d’Italie, c’était à Londres en 1990, et qui est aujourd’hui au musée Maillol.
Dans cette exposition, une représentation numérique virtuelle permet au visiteur de le feuilleter aisément, page à page, ou même de retrouver les essais de perspectives (ou de mises en scène) que pouvait ainsi explorer Canaletto, qui portait aussi sur certains de ses croquis des indications de couleurs, maison par maison.
L’étude de ses tableaux effectuée aux rayons X a permis de remarquer la chronologie de la réalisation de ses tableaux, et de retrouver les squelettes de ces paysages urbains d’apparence si "spontanée".
Place Saint Marc Canaletto, Venezia
Une autre excellente idée de cette exposition est d’avoir pensé à installer une chambre optique, reconstituée grâce à une étude réalisée par des ingénieurs optiques et des maîtres artisans vénitiens. Elle est accessible au visiteur, qui pourra en apprécier l’efficacité en plaçant sa tête à l’intérieur de l’installation, comme le faisait le peintre, qui se trouvait alors en position de reproduire grâce à ce procédé les successions de constructions les plus complexes de Venise.
En collaboration avec la Soprintendenza al Polo Museale de Venise, la chambre optique utilisée par Canaletto pour ses dessins, dérivée de celle de Caravage, avec un jeu de loupes savamment orientées, offrait un champ de vision et une précision de transcription unique pour l’époque.
Ensuite, que dire ? Certains apprécient ces tableaux, d’autres moins. Le Rio des mendiants (1723) est intéressant dans la mesure où la ville a soudain une odeur et une vie moins policée qu’elle ne l’est en général dans l’œuvre, Les Habitations à Santa Marta est aussi une très belle peinture, pour les érudits et les amoureux de Venise, et Dieu sait qu’il y en a ! Et puis ne dit-on pas que la peinture de Canaletto sait transmettre la lumière dans ses vibrations les plus sensibles...
Ne pas manquer au 1er étage quelques sanguines (dessins faits au crayon d’une variété terreuse d’hématite rouge), et eaux-fortes (des estampes obtenues au moyen d’une planche mordue par de l’acide nitrique mélangé d’eau). Ces explications répondent à une demande faite par une lectrice.
L’exposition au musée Maillol - fondation Dina Vierny est placée sous le haut patronage de la ville de Venise. Elle est exclusivement consacrée à Canaletto à Venise : 50 œuvres provenant des plus grands musées et des collections souvent historiques, et un choix de dessins.
Canaletto à Venise, au musée Maillol - fondation Dina Vierny, du 19 septembre 2012 au 10 février 2013. 59-61, rue de Grenelle 75007 Paris. Métro Rue du Bac.
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