Au Centre Pompidou, du 29 avril au 3 août 2015, une exposition-événement rassemble quelque 300 travaux de toutes natures (dessins, peintures, sculptures, maquettes, films) de cet architecte visionnaire, de ce théoricien dont la réputation fut et reste malgré tout internationale.
Le Corbusier (1887 La Chaux-de-Fonds - 1965 Roquebrune-Cap-Martin) disparaissait il y a 50 ans. L’exposition entend éclairer le public sur la complexité et la richesse de son œuvre, et sur son mode de pensée.
« Il n’y a pas de sculpteurs seuls, de peintres seuls, d’architectes seuls. L’événement plastique s’accomplit dans une - Forme Une - au service de la poésie », écrit Le Corbusier.
Né Suisse, destiné à l’horlogerie, voie dans laquelle il ne pourra poursuivre, ne voyant que d’un œil, donc pas en volume, il s’orientera vers la peinture avant qu’on ne lui conseille l’architecture.
En 1918, Charles-Édouard Jeanneret-Gris, qui ne choisira de se faire appeler Le Corbusier qu’à partir de 1920, publie avec le peintre Amédée Ozenfant (1886-1966) Après le cubisme, manifeste du mouvement puriste qu’ils créent, prêchant un "esprit industriel, mécanique et scientifique", mais cherchant déjà à discipliner la surface et à ordonner chaque chose. On sort à peine des années du Retour à l’ordre...
Dès la fin des années 1920, Le Corbusier et Pierre Jeanneret ont élaboré avec la Villa Savoye à Poissy, à 30 km de Paris, les fameux "cinq points de l’architecture moderne" : pilotis, toit-jardin, plan libre, fenêtre en longueur, façade libre, auxquels on pourrait ajouter un emploi fréquent de la voiture, éventuellement ménagée par les pilotis.
Associant lieux de vie et de travail, le travail se fera sur la couleur, notamment sur les murs intérieurs, et l’architecte la juge "limpide, claire et souriante".
Le Corbusier fut un architecte visionnaire et un urbaniste trop radical, inquiétant voire totalitaire, un designer, un théoricien de la modernité, et même du mouvement moderne avec notamment Alvaar Aalto, Ludwig Mies van der Rohe, et Walter Gropius, mais aussi un peintre et un sculpteur. Il a profondément marqué la réflexion de l’architecture du XXe siècle en bouleversant à la fois la création architecturale et notre façon "d’habiter".
Cette exposition propose de relire son œuvre plus spécialement au travers de la mesure du corps humain, qui s’imposait à lui comme un principe universel. Pour Le Corbusier, cette "mesure de l’homme" devait contribuer à définir toutes les dimensions de l’architecture et de la composition spatiale.
Au cœur de son œuvre considérable et protéiforme, il trouvait une base à sa réflexion à partir d’une mesure essentielle et universelle, "l’homme de série", supposé penser et percevoir.
Il subit certainement lors de sa formation, notamment en Allemagne, l’influence des psycho-physiciens et des théories de l’esthétique scientifique selon lesquelles tout peut être mesuré, quantifié, y compris les sensations, les réactions cognitives ou la psychologie humaine.
Cette notion clairement obsessionnelle de mesure a nourri le travail de l’urbaniste, de l’architecte, du créateur de meubles, et elle s’instille même dans l’œuvre du peintre.
Toute mathématique qu’elle soit, cette recherche ne s’éloigne jamais de l’être humain ; elle s’adapte à ses gestes, à son regard, à sa pensée. La cellule d’habitation, qu’il nomme "l’unité d’habitation", pensée par Le Corbusier, est de dimensions restreintes, mais elle est pratique car à l’échelle humaine. Elle est expressément conçue pour le logement social, autant par son agencement que par l’ameublement.
Il commence à y travailler théoriquement dès les années 1920, en l’imaginant dans un ensemble plus vaste, collectif, qui ne sera réalisé qu’au moment de la reconstruction qui suivra la Seconde Guerre mondiale. Et cela en 5 exemplaires tous différents : à Marseille, Briey-en-Forêt, Rezé, Firminy et Berlin.
Sa conception envisage dans un même bâtiment tous les équipements collectifs nécessaires à la vie : garderie, laverie, piscine, école, commerces, bibliothèque, lieux de rencontre.
Pour Le Corbusier, le mobilier dans l’unité d’habitation se doit d’être flexible puisqu’il lui faut épouser les mouvements du corps.
Les yeux et l’esprit du spectateur « percevant » font le tableau puriste dont la lecture est voulue subjective. Le corps humain, ou certains de ses membres sensibles, sont des motifs de sa peinture : corps de femmes le plus souvent (Yvonne Gallis, l’épouse de Le Corbusier, sera l’un de ses modèles de prédilection), mais aussi mains, pieds, oreilles.
Deux ouvrages récents (Un Corbusier, de François Chaslin, et Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy) évoquent notamment le ton de certaines lettres de Le Corbusier durant les années troubles de la collaboration vichyssoise et des amitiés fascisantes. Dans une chronique du quotidien Le Monde, qu’il intitule "Le Corbusier fut-il fasciste ou démiurge ?", Chemetov rétorque pour sa défense que tous les architectes de l’époque (de la Collaboration), Auguste Perret (1874-1954) compris, étaient alors vichystes, concluant étrangement que "l’architecture moderne, pour le meilleur et pour le pire, fut et reste celle de la démocratie". Il n’en demeure pas moins que tous les architectes de cette époque ne laissèrent pas pour autant des écrits aussi lourdement antisémites ni que leurs amitiés ne s’étalèrent pas sur des temps aussi longs. Vieux et lancinant débat franco-français... Jusqu’où supporte-t-on que notre passé nous démange ?
Il est apparu nécessaire, tant au Centre Pompidou qu’à la Fondation Le Corbusier d’engager "un véritable travail scientifique (...) afin d’apprécier au plus près une période de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme qui n’a jamais fait l’objet d’une analyse historique complète". Pour cela, ces institutions organisent dès 2016 "un colloque croisant aussi bien l’histoire des institutions que l’histoire sociale et politique, l’histoire des différents acteurs économiques que celles plus spécifique des architectes et urbanistes." On dirait du Georges Clemenceau.
En 1943, Le Corbusier crée le « Modulor », système de mesure à la taille de l’homme moyen : 183 cm ou 226 cm le bras levé. Son concept systémique sera diffusé par l’ouvrage Le Modulor, Essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine applicable universellement à l’architecture et à la mécanique, publié en 1950. Le "Modulor" y est présenté comme une évidence philosophique, mathématique et historique, l’invention corbuséenne reprenant (ou tentant de se rattacher à) des systèmes classiques.
Le parcours inédit de cette exposition présente les nombreuses facettes du travail de l’artiste, à travers près de 300 peintures, sculptures, dessins, dessins d’architecture et maquettes bien évidemment, objets, films, photographies et documents illustrant la production foisonnante de ce natif du Jura suisse, naturalisé français en 1930, et devenu Parisien d’adoption.
Parmi ces réalisations, citons la Cité radieuse de Rezé, la Villa Savoye à Poissy, la
Cité radieuse à Marseille (illustration), la Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, le Couvent de La Tourette à Éveux-sur-Abresle, le Capitole de Chandigarh (Pendjab, Inde), la Cité radieuse à Briey, et Firminy-Vert à Firminy.
Le Corbusier. Mesures de l’homme. Du 29 avril au 3 août 2015 au Centre Pompidou, Galerie 2, Niveau 6, 75191 Paris cedex 04. 01 44 78 12 33, métro Hôtel-de-Ville, ou Rambuteau. Ouverte de 11 à 21h tous les jours, sauf le mardi et le 1er mai. Selon période de 13 à 11€ en plein tarif, ou de 10 à 9€ en tarif réduit. Valable le jour même pour le Musée national d’art moderne et l’ensemble des expositions.
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