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Wildenstein : retour sur les revues de presse d’une étrange affaire (10)

lundi 6 mai 2019, par Expositions

Paris. Le 17 février 2011. L’édifiante histoire du Portrait de Claude Monet, de John S. Sargent, devenant au fil du temps un Autoportrait, de Claude Monet. Nous partons cette fois sur une autre bataille juridique, elle aussi constellée de coups de théâtre, qui aura opposé, durant 17 années, Paulette Howard-Johnston, veuve d’un amiral anglais, au marchand d’art Daniel Wildenstein. Le père donc.

Paulette Howard-Johnston, née Helleu, en août 1904 à Paris, fut l’une des inspiratrices du personnage central de l’œuvre de Marcel Proust À la Recherche du temps perdu. Une forte personnalité, bien sûr. Comme son père, qui servit de modèle au personnage de "Monsieur Elstir".

Son père, Paul César Helleu (1859-1927), avait été un portraitiste célèbre auprès de la haute société parisienne. Il avait peint les femmes les plus en vue de l’époque, dont Consuelo Vanderbilt, ou Gladys Deacon, toutes deux Duchesse de Malborough.

La famille de Paulette entretenait des relations amicales et suivies notamment avec le peintre américain Singer Sargent, comme avec Édouard Manet, Giovanni Boldini, Marcel Proust, Robert de Montesquiou et Claude Monet. Il paraîtrait même que celui-ci aurait dit à la jeune femme, qu’il voyait souvent travailler "sur le motif" : « Toi, tu peins comme l’oiseau chante ».

L’histoire commence en 1984, lorsque Madame Howard-Johnston cède au prix de 300 000 dollars US à Daniel Wildenstein, un portrait (vous avez bien lu "portrait") de Claude Monet, non signé, qu’elle attribue alors au peintre américain, ami de sa famille, John Singer Sargent.

Trois experts, spécialistes de ce peintre, ayant émis des doutes sur l’authenticité de l’œuvre, la société Wildenstein assigne la venderesse en nullité à la vente "pour erreur sur la substance", prétextant que le tableau n’était pas de Sargent, mais très certainement d’un peintre mineur... L’histoire donc se corse.

Les parties en viendront dans un premier temps à cosigner une transaction, le 11 mars 1986, confirmant la vente à moitié prix du tableau faussement attribué à John Singer Sargent par sa propriétaire, celle-ci rendant la moitié du montant, prenant acte de l’intention de la société d’en faire donation à l’académie des Beaux-Arts, pour y être exposé au musée Marmottan. Nous étions apparemment entre gens élégants.

Il se trouve pourtant que, quelque 10 années plus tard, Madame Howard-Johnston découvrait avec stupeur que ce même tableau figurait dans la toute nouvelle édition du catalogue raisonné des œuvres de Monet, publié par l’institut Wildenstein. Et en première page s’il vous plaît !

Et même qu’il y était présenté par son propre acheteur, Daniel Wildenstein, le spécialiste mondialement reconnu de Claude Monet, comme étant un autoportrait de ce peintre ! Vous avez bien lu, un "autoportrait" ! Prenant donc alors une valeur bien différente...

Et c’est ainsi qu’en 1999, Paulette, assez mécontente, assignait à son tour en annulation de la vente et de la transaction "pour erreur sur la substance et pour dol". Puis, la Cour d’appel de Paris l’ayant débouté de sa demande, elle formulait alors un pourvoi en cassation.

Et c’est alors, ô miracle, que l’"Autoportrait" qui n’avait plus apparu depuis une décennie, était soudain retrouvé au musée Marmottan, fort heureusement, par l’huissier même venu vérifier qu’il y avait bien été remis, ainsi que le stipulait l’accord passé.

Bigre ! Dormait-il dans les caves de Marmottan, ainsi que le prétendit sur le moment l’avocat des Wildenstein ?

En enquêtant sur cette toile, Le Point découvrit un savoureux détail exotique qui n’avait jusque-là attiré l’attention de personne. Dans le châssis du tableau, une étiquette punaisée portait la mention "Coutts". Vous allez rire, c’est le nom de la banque qui gère le Delta Trust des Wildenstein aux îles Caïmans !

Et voilà que ce détail insignifiant valait, selon l’hebdomadaire, preuve que les Wildenstein n’auraient pas seulement masqué la paternité du tableau, mais qu’ils auraient de plus tardé, bizarrement (et pour quelles obscures raisons ?), à le livrer au musée Marmottan... On ne nous dit pas tout !

Après 17 ans de batailles judiciaires, la Cour de cassation venait enfin de donner raison à Paulette Howard-Johnston, hélas décédée, à 104 ans tout de même, le 12 juin 2009. Elle fut certainement l’ultime survivante de la Belle Époque. Paulette était Chevalier de la Légion d’Honneur, et Officier des Arts et des Lettres. Et tenace, comme le laisse déjà deviner cette sculpture que fit d’elle en 1925 Paul Troubetzkoy (illustration).

Allez voir cet Autoportrait de Claude Monet, parvenu, après ces quelques aventures, face émergée de l’iceberg, à Marmottan (à moins qu’il n’ait disparu à nouveau), ainsi que le fonds si riche de ce musée consacré à ce grand peintre.

Voilà. Fin de l’entracte. Concentrez-vous maintenant. Car d’autres aventures attendent cette famille, et nous vous les conterons.

André Balbo

sources : Le Point, musée Marmottan, Telegraph, Cour de cassation

Wildenstein : retour sur les revues de presse d’une étrange affaire

Entretien exclusif avec Me Dumont-Beghi, qui publie L’Affaire Wildenstein. Histoire d’une spoliation. Juste explosif !

 30 juin 2010. Abus de procédures et/ou succession difficile ? (1)
 6 juillet 2010. Une deuxième Affaire Bettencourt ? (2)
 22 juillet 2010. Paris commençait-il à s’attaquer à la "délinquance astucieuse" ? (3)
 14 septembre 2010. Dépôt de plainte au pénal à Paris dans la succession Wildenstein. (4)
 4 novembre 2010. Un nouveau départ de l’Affaire Wildenstein ? (5)
 16 novembre 2010. Après le décès de Sylvia Roth, qu’adviendra-t-il de l’affaire Wildenstein ? (6)
 9 décembre 2010. Début des perquisitions dans l’Affaire Wildenstein... (7)
 2 février 2011. Bonne pioche pour la police à l’Institut Wildenstein ! (8)
 17 février 2011. Les Wildenstein n’ont décidément pas de chance avec les femmes. (9)
 28 février 2011. L’édifiante histoire du Portrait de Claude Monet, de John S. Sargent, devenant au fil du temps un Autoportrait, de Claude Monet. (10)
 Le 9 mars 2011. Les ministres Baroin et Mitterrand disaient se charger bientôt de l’Affaire... (11)
 Le 3 avril 2011. Le fisc aurait-il cherché à étouffer l’Affaire Wildenstein ? (12)