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Film anti-islam et caricatures : des manifs illégales à Paris ce week-end ?

samedi 15 décembre 2018, par Benoît

INTERVIEW / Le gouvernement a refusé la tenue de deux manifestations ce samedi 22 septembre : l’une au Trocadéro, l’autre à la mosquée de Paris. Faut-il s’attendre à des actions spontanées et donc illégales ? Dounia Bouzar, docteur en anthropologie du fait religieux et fondatrice de Cultes et cultures consulting, répond à nos questions.

Dounia Bouzar / V. Pancol - Ed Eyrolles

Evous.fr : Qui se cache derrière les différents appels à manifester ? Des musulmans ou des extrémistes ?
Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux* : Justement, c’est la difficulté du contexte. Les médias font actuellement un tel amalgame entre l’islam et radicalisme que les personnes qui voudraient manifester peuvent être diverses et variées. Je m’explique. Quand on fait le procès de l’islam pour attaquer le radicalisme, cela entraîne les musulmans, qui se sentent coincés entre deux discours : un premier affirmant que l’islam est par essence une religion haineuse et un second qui dit que l’islam est supérieur et doit rester au-dessus de tout cela. A force de faire un amalgame, celui-ci se propage à tous les niveaux et des jeunes peuvent donc avoir envie de manifester. Sans qu’ils soient radicaux ! Il faut tout de même retenir que les autorités religieuses ont officiellement appelé à ne pas manifester. Le gouvernement a interdit les manifestations justement parce que les 3 principales associations musulmanes ont appelé au calme. Les pouvoirs publics savent qu’en conséquence une manifestation serait désordonnée. Mais du point de vue d’un jeune, ce n’est pas juste : on autorise Charlie Hebdo à critiquer l’islam mais lui, on ne l’autorise pas à critiquer les caricatures. Moi je suis incapable de vous dire ce que cela peut produire.

Evous.fr : En début de semaine, on entendait que l’embrasement en réaction au film L’innocence des musulmans s’essoufflait. Depuis la publication de Charlie Hebdo, la polémique est relancée. Selon vous, en France, la protestation prend-t-elle encore de l’ampleur ?
D. Bouzar : Cela ne se traduit pas que par un embrasement. Beaucoup de gens me disent : "Arrêtons d’en parler, ne leur faisons pas de publicité !" Ce qui est sûr, c’est que la démarche de Charlie Hebdo est vue différemment que celle du film anti-islam. Le film était d’un tel ridicule que la polémique était en effet plutôt en train de retomber en France. Le problème de Charlie Hebdo, c’est qu’une partie des Français prennent les caricatures comme une volonté d’humilier, par la nature des dessins, avec une position suggestive liée à la sodomie, et qu’ils en remettent une couche après le film. En outre, ils font un amalgame. En 2006, j’étais du côté de Charlie Hebdo parce qu’ils attaquaient les intégristes en faisant dire au prophète "C’est dur d’être aimé par des cons". Cette année, je vois plus cela comme une volonté d’exacerber la haine.

La mosquée de Paris, devant laquelle une manifestation a été interdite.

Evous.fr : Comment apaiser les tensions en France et à Paris ? Les appels des religieux sont-ils suffisants ?
D. Bouzar : Les jeunes radicaux, ils n’écoutent jamais les religieux. Ils sont dans la recherche de la toute-puissance et ils font leur loi. Ces personnes, dans un registre d’exaltation, je ne sais pas ce qu’ils vont faire. Vont-ils avoir peur de la police ? Vont-ils sortir quand même ? Je n’en sais rien ! Après, l’ensemble de la population musulmane est blessée. Donc je ne sais pas si la raison va l’emporter ou s’ils vont tomber dans l’affectif. C’est très compliqué d’anticiper leur réaction. Pour désamorcer la polémique, je conseillerais aux autorités de réagir durement dès qu’il y a une entrave légale à l’un des symboles de l’islam. Par exemple, lorsqu’une mosquée est attaquée, je leur conseillerais d’appliquer la loi de la même façon que lorsqu’il s’agit d’une synagogue. Beaucoup de musulmans attendent que l’on prononce pour eux la fameuse phrase : "Quand un juif de France est attaqué, c’est la République elle-même qui est attaquée" (ndlr : Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, le 22 mai 2012). Enfin, pour désamorcer le radicalisme, il faut surtout arrêter de faire passer la parole d’un radicaliste comme la parole d’un musulman. Cet amalgame profite toujours aux intégristes. Il les valide. Pour moi, c’est cela la prévention. Quant à aujourd’hui, je ne vois pas trop ce que l’on peut faire pour ce week-end et cette après-midi.

* Dounia Bouzar a publié en 2010 aux éditions Eyrolles Laicité mode d’emploi