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Sa Majesté des Mouches, de Peter Brook

Sa Majesté des Mouches, réalisé en 1963 par Peter Brook et adapté du célèbre livre éponyme écrit par William Golding en 1954 a été réédité en DVD par Carlotta en octobre 2008.


Sa Majesté des mouches raconte l’histoire de jeunes garçons issus de la haute société anglaise livrés à eux-mêmes sur une île déserte après le crash de leur avion. Pour autant, le roman de Golding et le film de Peter Brook ne sont pas les versions "jeunesse" de Robinson Crusoé et ne se posent même pas la question de la survie des enfants, qui semblent manger, se soigner et s’occuper sans problème.

Ici, la tension naît de la nécessité de s’organiser pour survivre et réussir un jour peut-être à quitter l’île. Très vite, deux clans se forment, incarnés par Ralph et Jack. Le premier est calme, posé, pacifiste et ne pense qu’à garder le feu allumé pour qu’un jour quelqu’un les repère et les sauve. Le second est obsédé par l’idée de chasser, d’adorer une bête imaginaire et de devenir le chef. Entre eux, le reste des enfants, une vingtaine, va et vient pour finalement suivre Jack, le plus fort. Dans le clan de Ralph, il y a Piggy, petit gros à lunettes cultivé et bon élève. Leur amitié et leur accord sur la façon d’envisager la vie en société ne cessent de croître à mesure que les autres les lâchent. Très vite, Ralph perd tous ses suiveurs et reste seul avec Piggy. Il n’y a alors plus de chef mais deux jeunes garçons sensés et accablés de voir les autres s’éloigner d’eux. Leur camp symbolise l’égalité de tous lorsque chacun accepte de respecter l’autre, face au clan guerrier qui n’est dominé que par un seul suivi aveuglément par les autres.

Le clan des chasseurs devient de plus en plus angoissant : ses membres crient plus souvent qu’ils ne parlent, ils chassent, traquent, tuent un cochon dont ils donnent la tête en offrande à une bête qu’ils imaginent vivre en haut d’une montagne et finissent par tuer deux enfants. On a souvent dit que Sa Majesté des mouches montrait comment des hommes livrés à eux-mêmes, aussi civilisés qu’ils soient, retrouvent vite leur état sauvage et leurs instincts guerriers et violents. Or, le clan de Jack est bien un clan social, et c’ est précisément pour cela qu’il est angoissant. Il montre qu’une société peut se construire sur les instincts humains, qu’elle peut les organiser pour les rendre encore plus néfastes quand le clan de Ralph représente un modèle qui tenterait de les contrôler. Peter Brook n’oppose pas la société à l’état sauvage, ni même la démocratie à la dictature, mais il rappelle les dangers qui menacent toute forme de civilisation : la violence mortifère et l’obscurantisme.

C’est sur ce dernier point que le clan de Jack est le plus attaqué. Jack et ses amis étaient, avant le crash, des enfants de chœur. Lorsqu’ils arrivent, ils chantent à tue-tête un "kyrie eleison". A force de vivre sur l’île, ils deviennent les adorateurs non plus du Seigneur mais du " lord of the flies", la tête du cochon qu’ils déposent sur un pic et autour de laquelle tournent les mouches. Dans l’évangile de Luc, Jésus sauve un possédé en transférant les esprits maléfiques de son corps dans des cochons, qui deviennent des créatures démoniaques. Les enfants de chœur finissent donc par adorer un démon ; entre la bienséance catholique et l’adoration fanatique, il n’y a qu’un pas. Le cochon, figure du diable, de la force chaotique de la religion, est présent dans le film sous deux autres formes : d’abord dans le nom de Piggy ( Porcinet dans la version française ) et ensuite sur le visage d’un parachutiste mort sur l’île que les enfants nomment "la bête" car son masque de pilote ( qui évoque la forme d’une tête de cochon ) les terrorise. Seul le cochon divinisé reste sur l’île puisque Piggy, le cochon " savant", et le jeune garçon qui a démasqué la "bête" en découvrant qu’elle n’est qu’un cadavre humain se font tous les deux tuer par Jack et ses acolytes. Les adorateurs d’un dieu mystérieux préfèrent supprimer les détenteurs d’un savoir, ceux qui remplacent les dieux par les hommes et l’adoration par l’instruction. Peter Brook n’oppose pas deux idéaux, l’athéisme et la religion, mais il dénonce les dérives obscurantistes d’une foi trop absolue.

Certaines scènes à l’esthétisme appuyé disent ainsi comme il est possible de se laisser attiré par un chef charismatique ou une divinité fascinante. La recherche de la beauté est du côté des guerriers et s’ils sont les plus angoissants, ils sont aussi les plus fascinants : ce sont eux que le film, comme les enfants de l’île, finit par suivre. Ils se peignent le corps, le décorent de plumes et de pagnes. Ils veulent le feu non pour s’en servir mais pour sa simple beauté, lorsqu’ils dansent autour avec des flambeaux qui finissent jetés dans la mer un soir d’orage. Ainsi le corps du garçon mort pour avoir fait tomber l’idole en découvrant que le dieu adoré n’est qu’un cadavre humain flotte sur les eaux calmes et miroitantes, comme si de son meurtre naissait un forme de beauté.

Peter Brook a affirmé que pour réaliser ce film, il n’avait eu besoin de rien d’autre qu’une île, des enfants et une caméra. Ces trois éléments ont fait naître une œuvre riche et angoissante qui n’a pas fini d’être interprétée. D’ailleurs, les Simpson s’y sont essayés, en réalisant un épisode parodique, "Les petits sauvages" ( Saison 9 ), version comique qui amusera peut-être plus les enfants que la version de Brook.

Sa Majesté des mouches, de Peter Brook. 1963, Royaume-Uni. 92 minutes. Avec James AUBREY, Tom CHAPIN, Hugh EDWARDS.

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lundi 18 février 2019,    Pauline